Les éléments à prendre en considération : la délimitation de la zone de chalandise d’un équipement commercial, objet d’une demande d’autorisation d’exploitation commerciale, est une donnée essentielle de l’instruction de cette demande. En effet, la mise en oeuvre de plusieurs des critères auxquels doivent se référer les commissions d’équipement commercial pour statuer dépend de la détermination de la zone de chalandise. Ainsi les CDEC doivent, en application de l’article L 720-3 du code de commerce, se prononcer notamment en prenant en considération :
– l’offre et la demande globales pour chaque secteur d’activité dans la zone de chalandise
concernée ;
– la densité d’équipement en moyennes et grandes surfaces dans cette zone ;
– l’effet potentiel du projet sur l’appareil commercial et artisanal de cette zone et des agglomérations concernées, ainsi que sur l’équilibre souhaitable entre les différentes formes de commerce. »
Selon les professionnels du secteur de la distribution, la zone de chalandise d’un magasin de commerce de détail représente, dans une étude de marché, l’aire géographique où résident 80 à 90% de la clientèle potentielle de l’établissement commercial. La délimitation de la zone de chalandise est alors fonction de la nature et de la taille du magasin envisagé, des temps d’accès en automobile, de la présence d’éventuelles barrières géographiques ou psychologiques, de la localisation et du pouvoir d’attraction des équipements commerciaux concurrents ainsi que de la localisation des magasins exploités sous la même enseigne que celle de l’établissement concerné.
Dès lors, les demandeurs d’une autorisation d’exploitation commerciale excluent fréquemment de la zone de chalandise du magasin qu’ils envisagent d’implanter certaines communes relativement proches du site concerné mais dotées d’équipements commerciaux de nature à dissuader leurs habitants de fréquenter le magasin projeté :
– soit parce que les dimensions de ces équipements ou de l’ensemble commercial auquel ils appartiennent sont nettement plus importantes que celles du magasin envisagé,
– soit parce que ces équipements ont la même enseigne que celle du magasin envisagé.
L’évolution récente de la jurisprudence : cette pratique des demandeurs est condamnée par le Conseil d’Etat dans une jurisprudence qui s’est développée depuis 2002 ( CE, 19 juin 2002, syndicat intercommunal de défense de l’artisanat et du commerce ; CE, 17 décembre 2003, société Monbazon ; CE, 11 février 2004, société Etablissement Grassot, société Jardivil.
En dernier lieu, le Conseil d’Etat, dans ses décisions « société Jesda » et société Bricomuret » du 10 novembre 2004, considère que « la zone de chalandise de l’équipement commercial faisant l’objet d’une demande d’autorisation, qui correspond à la zone d’attraction que cet équipement est susceptible d’exercer sur la clientèle, est délimitée en tenant compte des conditions d’accès au site d’implantation du projet et des temps de déplacement nécessaires pour y accéder » et « que, dans un second temps, l’inventaire des équipements commerciaux ou artisanaux de la zone de chalandise ainsi délimitée est effectué en retenant l’ensemble de ceux qui relèvent du même secteur d’activité que celui du projet, y compris ceux qui sont exploités sous la même enseigne que celle sous laquelle le projet, objet de l’autorisation, a été présenté».
Au regard des principes ainsi posés, le Conseil d’Etat conteste, dans les circonstances de l’espèce, la délimitation des zones de chalandise établie par les demandeurs en observant dans son arrêt « société Jesda » « qu’à l’appui de sa demande d’autorisation d’exploitation commerciale d’un grand magasin de bricolage et décoration à Blagnac, la société Castorama France a défini une zone de chalandise incluant plusieurs communes de l’ouest de l’agglomération toulousaine situées à plus de trente minutes du site, mais excluant certaines communes situées à l’est et au sud de l’agglomération, distantes de quinze à trente minutes du site, et notamment les communes de l’Union, Balma et Roques-sur-Garonne, au motif qu’y seraient implantés des établissements relevant du même secteur d’activité, dont deux exploités sous la même enseigne ; que la délimitation ainsi opérée a conduit à ne pas prendre en compte des grands magasins de bricolage et décoration totalisant une surface de vente de plus de 40 000 m²». Le même raisonnement a été appliqué dans la décision « société Bricomuret » qui concerne la création autorisée par la CNEC d’un magasin de bricolage de 15 200 m² de surface de vente à l’enseigne « Leroy Merlin » à Roques-sur-Garonne (Haute-Garonne).
Le conseil d’Etat, dans l’arrêt « société Jesda », en conclut « que les insuffisances entachant ainsi, au regard des règles rappelées ci-dessus, la délimitation de la zone de chalandise dans le dossier produit par le demandeur, qui n’ont pas été rectifiées au cours de l’instruction, ont conduit la commission nationale d’équipement commercial à se prononcer sur la demande d’autorisation dont elle était saisie, sur la base de données incomplètes et inexactes qui ne l’ont pas mise à même d’apprécier l’impact du projet au regard des critères fixés par les articles 1er de la loi du 27 décembre 1973, L.720-1 et L.720-3 du code de commerce.» et « que la décisions attaquée est ainsi entachée d’illégalité ».
En d’autres termes, pour la délimitation de la zone de chalandise, le Conseil d’Etat privilégie le critère du temps de déplacement maximum nécessaire à la clientèle pour accéder au magasin concerné. Une fois établie la courbe isochrone correspondant à un temps maximum d’accès au magasin projeté, il ne peut être question de modifier ce périmètre en excluant certaines communes en raison des dimensions, de l’enseigne ou de la nature d’activité des équipements commerciaux dont elles sont dotées.
Une telle position est justifiée par le souci de permettre aux commissions d’équipement commercial d’apprécier pleinement le risque, pour un projet qui leur est soumis, de déstabiliser l’appareil commercial de la zone de chalandise. En effet, une densité relativement faible d’une zone de chalandise déterminée par l’exclusion, en raison de leur équipement commercial, de communes proches du site n’est pas suffisante pour permettre de conclure à l’absence de risque de déséquilibre du petit commerce de cette zone, lequel est confronté à la vive concurrence des grandes surfaces de distribution exploitées dans les communes précisément exclues de la zone de chalandise ainsi délimitée.